jeudi 21 juin 2012


« Au secours, ils sont en train de me tuer »

« Je souhaite conserver mon exploitation et la transmettre afin de perpétuer mon histoire, mon patrimoine, mes valeurs, ma vie.
Ce monde arrivera à faire mourir de faim ceux qui le nourrissent ! »
Extrait de la lettre de Christophe Girard du 10 mars 2012

"Le pouvoir est aveugle, les détresses les plus accablantes sont muettes... Comment faire se rejoindre ceux qui savent et ceux qui peuvent?"
Abbé Pierre

« Les détresses les plus accablantes sont muettes …... » Christophe Girard a voulu faire mentir cette belle citation, (pourtant ô combien vraie) de l'Abbé Pierre.
C'est un cri, un hurlement qu'il pousse pour évoquer sa détresse et celle de nombreux petits agriculteurs. Si trop souvent les grandes douleurs sont muettes, les colères sont une source de solidarité.
« Il n'existe pas d'autre voie vers la solidarité humaine que la recherche et le respect de la dignité individuelle » (Pierre Lecomte du Noüy – L'Homme et sa destinée »)

Le respect de sa dignité.... c'est bien le combat que mène Christophe Girard comme tant d'autres dans la même situation. Respecter la dignité d'un paysan c'est lui permettre de rester un paysan DEBOUT, fier de son travail. Son courage est le prix de sa dignité … mais ce prix là, aucune banque, aucune coopérative n'est capable de l'estimer tant elles sont dans une seule logique de rentabilité, à mille lieues de toute humanité. Car cette humanité n'est pas une chose que l'on subit c'est au contraire une dignité à conquérir.... mais faut seulement le vouloir, en avoir envie !
Tout travail même s'il ne sort pas l'homme de la misère, devrait lui garantir sa dignité !
Presque 2 agriculteurs se suicident par jour … et cela n'émeut plus grand monde. On leur a pris leur dignité qu'ils avaient conquis de haute lutte par leur travail quotidien. Mais dans quel monde vit-on pour en arriver là ?

Un monde où la grand misère humaine (et il n'y a pas que dans l'agriculture) est devenue banalisée.
Un monde où le pouvoir de l'argent détruit l'homme au lieu de l'aider à construire, à se construire.
Un monde déséquilibré où les rapaces se nourrissent grassement sur le dos des plus démunis .
Un monde où il faut hurler pour dire sa souffrance, sa misère alors que la moindre humanité devrait s'en apercevoir d'un simple regard.

Un monde d'homme avec de moins en moins d'humanité ! Ce serait comme le monde des banques avec de moins en moins d'argent. Dans quel paradoxe vit-on ?

Pour se faire entendre dans un monde où la communication est techniquement au top, on ne s'entend plus, on ne s'écoute plus : on se tweet, se « face book », se « mail » se « textote » mais on ne se rencontre plus !

C'est pour cela qu'il faut hurler pour crier certaines misères qui sont à nos portes, devant nos yeux !
Alors crions : faut-il créer un CRI « Comité de Révolte des Indignés » pour se faire entendre ?

« On communique profondément avec quelqu’un par ses blessures. C’est par les failles que passent l’accord et la connivence avec l’autre. » Père Albert Rouet

Quand prendrons-nous le temps, plutôt que de le subir, pour rencontrer l'autre, essayer de le comprendre plus que de l’étiqueter (ce qui est bien plus facile). Quel regard portons-nous sur l'autre ?
« Désespérer de quelqu’un, c’est le désespérer. » Emmanuel Mounier

Ce n'est pas un cri à connotation politique... ou plutôt si mais dans le sens ou la politique concerne la structure et le fonctionnement d'une communauté, d'une société. Car la politique a trait au bien commun, à une somme d'individualités dans un collectif, dans un communauté. Et une communauté est une interaction d'organismes partageant un environnement commun.

« du latin "communis", communauté, lui-même issu de "cum", avec, ensemble et de "munus", charge, dette : charges partagées, obligations mutuelles. »
« Au sens général, une communauté désigne un groupe social constitué de personnes partageant les mêmes caractéristiques, le même mode de vie, la même culture, la même langue, les mêmes intérêts.... Elles interagissent entre elles et ont en outre un sentiment commun d'appartenance à ce groupe. » extrait du site http://www.toupie.org/Dictionnaire/Communaute.htm)

A-t-on aujourd'hui la sensation d’appartenir à la même communauté ? Où sont les mots « ensemble », « partage », « obligations mutuelles » ?
Personnellement j'ai de plus en plus l'impression de vivre dans un monde ou se côtoient diverses communautés en recherche de pouvoir sur l'autre, diverses communauté qui se côtoient sans se rencontrer. Tout pouvoir n'a de sens que si on le met au service des autres et non à satisfaire des ambitions ou besoins personnels.

Mais revenons au cri de Christophe Girard qui , de sa propre volonté, parce qu'il n'en peut plus moralement, physiquement, financièrement a fait cette démarche.
Elle a été entendue et comprise par certains, entendue... et c'est tout par d'autres et pas entendue du tout par ceux que la souffrance des autres dérange dans leur petit confort quotidien.

«  La paysan et ses rides, la terre et ses sillons ont une seule et même signification » ( Alex Le Gall)



Quand on a la chance, comme moi de vivre à la campagne , on peut admirer la beauté d'une terre juste labourée : «  Personne ne peut voir au soleil la fumée d'un sillon labouré sans avoir la chaude fièvre d'en être le seigneur. » Georges Sand « François le Champi »
Christophe a toujours été fier de son métier de paysan, fier de labourer sa terre et de la faire produire de façon raisonnée mais aujourd'hui, s'il lui est de plus en plus difficile de tracer son sillon dans sa propre terre, les sillons qui se creusent sur son visage montrent toute la souffrance d'un homme qui pourtant veut « perpétuer son histoire, son patrimoine, ses valeurs, sa vie ».
Il aurait pu dire, comme Khalil Gibran, dans « Le Prophère » : «  La terre est ma patrie,l'humanité, ma famille. »

«  Le paysan meurt de faim et son maître de gourmandise » dit un proverbe polonais : les « maîtres » se reconnaîtront !

Alors oui, j'ai envie de hurler avec lui, comme d'autres commencent à le faire, pour rompre ce silence qui veut cacher, taire, ce silence qui tue parce qu'il nie les réalités.
Ouvrons les yeux,  indignons-nous pacifiquement pour résister comme nous y invitait Stéphane Hessel, pour que les réalités soient prises en compte.
« Toutes les idéologies politiques qui ont voulu modifier le monde paysan ont échoué parce que le monde agricole ne peut être géré par des théories,il est régi par la réalité . » Olivier de Kersauson

Crions donc pour que ces réalités du monde paysan, et plus particulièrement celles de Christophe Girard et des petit paysans soient prises en compte.
«  C'est à force de répandre le bon grain qu'une semence finit par tomber dans un sillon fertile » écrivait Jules Verne dans « les naufragés du Jonathan. »
Aujourd'hui ces naufragés essaient de se sauver et de sauver la terre qui nous nourrit. Alors plus nous serons de bons grains, plus l'espérance renaîtra.

Jacky Prêt
Le 16 juin 2012